Le kikongo, langue traditionnelle de la partie ouest de la RDC dont le Kongo-Central héberge une bonne partie des locuteurs, perd progressivement du terrain à Matadi, chef-lieu de cette province. Face à l’essor du lingala, devenu dominant dans la rue, les médias et les quartiers centraux, dans la ville portuaire, le kikongo prend la place de la seconde voire la troisième langue des populations qui s’expriment de plus en plus en Lingala et en Français.
Cette situation inquiète certains natifs qui estiment que beaucoup évitent de parler cette langue nationale par complexe, un phénomène renforcé par l’arrivée de Kinois attirés par les activités portuaires ou commerciales.
"Ce qui est déplorable pour nous peuple Kongo, nous avons honte de parler librement notre langue. Nous voulons nous conformer aux autres, voilà pourquoi ils viennent nous imposer leur mentalité et culture. Actuellement c'est difficile de trouver des jeunes parler le Kikongo, même dans les écoles, ce n'est plus comme avant. Cette responsabilité revient à nous parents de léguer à la jeune génération cette valeur culturelle, mais dommage", a confié un habitant de Matadi.
La langue Kikongo fait partie, avec le Lingala, le Swahili et le Tshiluba, des langues nationales de la RDC et font également partie du patrimoine culturel congolais dont l’Etat est tenu d’assurer la promotion. A Matadi, la diminution des locuteurs du Kikongo au profit du Lingala entraîne également la diminution des locuteurs de certains dialectes tels que le Kiyombe, le Kintandu, le Kinyanga et le Kimboma.
Seuls des quartiers populaires comme Mpozo et Nvuadu arrivent à faire vivre cette langue à travers des échanges au quotidien.
Une langue fragilisée par les enjeux politiques
La situation linguistique reflète également des enjeux politiques. Malanda Kisenda, administrateur d’une institution publique, déplore l’absence de soutien interne entre les Kongo.
"Le peuple Kongo est reconnu pour sa force et son unité. Pourtant, sur le plan politique, cette réalité peine à se traduire. Aucun parti dirigé par un Mukongo n’a réussi à s’imposer au niveau national. Au Kongo-Central, notamment dans la ville de Matadi, la majorité des partis politiques sont portés par des autorités morales venues d’ailleurs, Luba, Katanga, Bandundu qui imposent le lingala comme langue de communication, en dehors du français qui est la langue officielle. Cette situation est regrettable, car lorsqu’un natif prend l’initiative de créer un parti, il peine à rallier ses frères", a-t-il déploré.
Pour Glodi Besanzami Ngono, linguiste et ingénieur pédagogique, Fondateur de Mbote-Lingala et de l'institut Panafricain Lumumba Sankara, cette responsabilité de la politique linguistique incombe à l'État congolais.
"L'Etat a un rôle crucial dans la préservation et la promotion de nos langues nationales car c'est le dernier qui définit la politique linguistique que le pays va suivre. Malheureusement, le Congo conserve encore la configuration coloniale de français comme étant la langue officielle et les autres n'ont aucun statut. Ce qui traduit encore les effets néfastes de l'aliénation culturelle et linguistique que nous subissons jusqu'à présent", a-t-il évoqué.
Et d'ajouter :
"Tant que nous n'aurons pas de dirigeants qui comprendront la décolonisation culturelle et linguistique, aucun effort ne sera fait pour la promotion de nos langues".
Selon lui, il est nécessaire de sensibiliser les écoles, les églises, les médias, mais aussi de s’appuyer sur les réseaux sociaux et la musique, afin de promouvoir la décolonisation culturelle et linguistique comme autrefois, à l’époque du régime Mobutu.
Sauver le Kikongo
L’écrivain congolais Joyeux Ngoma, résident au Kongo-Central, souligne que la domination du lingala pourrait faire disparaître des repères culturels sans un effort pour préserver le kikongo.
"On peut parler d’une forme de glottophagie, c’est-à-dire l’écrasement progressif d’une langue par une autre. Si le lingala continue à s’imposer sans qu’il y ait des politiques linguistiques de sauvegarde, le risque est que le kikongo perde sa vitalité et devienne une langue marginalisée, parlée seulement par les anciens, coupant ainsi les jeunes générations d’une partie de leur héritage culturel", a-t-il fait remarquer.
Pour préserver cette langue, certaines initiatives existent. Des musiciens intègrent le Kikongo dans leurs chansons, à travers des festivals, des troupes de théâtre jouent en Kikongo, et quelques écrivains ou poètes valorisent la langue dans leurs textes. Mais ces efforts restent isolés et manquent de soutien institutionnel et médiatique pour garantir un impact durable.
Située sur la rive gauche du fleuve Congo et proche de la frontière angolaise, la ville de Matadi, fondée comme port en 1886, risque de voir le kikongo disparaître de ses rues. Préserver cette langue, parlée depuis l’ancien empire Kongo, c’est protéger l’identité culturelle de ses plus de 445 000 habitants et transmettre un héritage unique aux jeunes générations.
Gloria Kisenda, stagiaire