Vendredi, Mai 17, 2024

Tuer à Goma, à Sake ou à Kinshasa participe d’un même projet

cadavreLes dates où la mort s’est abattue brutalement sur nous devraient être toutes inscrites dans nos « nouveaux livres d’histoire »,  dans « les livres d’histoire des vaincus-non-abattus ».  Le 26 novembre 2011 en est une. Les revisiter devrait nous aider à question les causes proches et lointaines de cette barbarie. Cela devrait aussi nous pousser à répondre à cette double question : « Malgré les forces de la mort qui nous assaillent et emportent plusieurs d’entre nous, qu’est-ce qui dépend encore de nous ? Que pouvons-nous encore faire ensemble pour résister contre « les petites mains » du capitalisme sénile ? »

Dans  son dernier livre, Cheik Fita rend compte de ce qui s’est passé le 26 novembre 2011 à l’aéroport de N’ djili.  Il note ce qui suit : « Fin de campagne agitée pour l’opposition congolaise à Kinshasa. Ce samedi 26 novembre 2011 en fin de journée, monsieur Etienne Tshisekedi, leader de l’opposition et candidat à la présidentielle congolaise du 28 novembre s’est retrouvé bloqué à l’aéroport  de N’djili. L’avion de monsieur Tshisekedi qui revenait du Bas-Congo a été obligé d’atterrir à l’aéroport de Ndolo, et non à celui de N’djili comme cela était prévu dans le programme  du parti. Afin d’honorer les militants de  son parti qui l’attendaient à l’aéroport de N’djili, monsieur Tshisekedi et sa délégation s’y rendront donc en voiture.[1] »  Et qu’est-ce qui va se passer à cet aéroport ? « Et là, ils se retrouveront bloqués par un déploiement impressionnant de militaires « rwandais » selon monsieur Bona, proche du leader de l’opposition, et que nous avons pu joindre au téléphone, écrit Cheik Fita.[2] »

Ce reportage se termine avant la mention de ce que les militants de l’opposition vont vivre à N’djili à l’issue du bras de fer  qui va les opposer aux « militaires rwandais ». Ces derniers vont tirer sur eux à bout portant. Il y aura officiellement trente (30) morts. En dehors de N’djili, d’autres compatriotes seront tués le même jour et après dans certains quartiers de Kinshasa soupçonnés d’avoir jeté leur dévolu sur monsieur Etienne Tshisekedi.

Evoquer ces assassinats une année après  (le 26 novembre 2012) et quelques jours après la chute de Goma et Sake peut aider à comprendre que la mort est semée dans notre pays, sans interruption. Et cela depuis que « les nouveaux prédateurs[3] », criminels de guerre, criminels contre l’humanité et autres mafieux économiques ont mis la main sur l’appareil de l’Etat congolais ou  sur ce qu’il en restait. Perpétuée par tous les chiens de garde d’un capitalisme sénile, cette mort participe (aussi) d’un grand projet global : garder la RDC connecté aux circuits  économiques dominants menant du Sud au Nord et lui éviter de jouir de sa souveraineté économique et politique.

S’il y a des moments où cette mort est semée brutalement, comme cela se passe aujourd’hui dans la partie orientale de notre pays ou à Kinshasa, le 26 novembre 2011,  il  y en a d’autres où  elle est entretenue de manière « douce » ; des moments où elle est le fruit du « soft war ».  Quand elle est semée brutalement, elle crée la peur ; elle inocule la peur dans les cœurs et les esprits. Elle pousse les journalistes et les penseurs à l’autocensure  et/ou à l’à-plat-ventrisme.  Elle assujettit les masses populaires aux diktats  des chiens de garde du capitalisme sénile et les incite à renoncer à leurs droits sociaux, économiques et culturels.

Et par un effet d’entraînement, cette renonciation conduit à  la résignation face à la maladie, à l’ignorance, à la malnutrition, à l’abrutissement, à la violation des libertés fondamentales, etc. Souvent, cette résignation est traduite en ces termes : « Nzambe ye moko ayebi ! » (Dieu seul sait !)  Ou par « Nzambe akosala » ! (Dieu  agira !). Disons que cette renonciation conduit à la démission ; à la mort des cœurs  et des esprits. (D’où un taux très élevé de mortalité presque partout dans notre pays. Certains cimetières de Kinshasa sont saturés.)

Dans ce contexte, les minorités agissantes et organisées et les autres intellectuels subversifs  constituent un danger permanent pour  « les petites mains » du capitalisme sénile.

(Dans ce contexte, les figures emblématiques et « imprévisibles » comme celles d’Etienne Tshisekedi et de certains de « ses disciples »   poussent la peur à changer de camp. Pour avoir affronté à plusieurs reprises, au cours de son histoire politique, la violence à mains nues, « Tshitshi » est et restera une référence pour plusieurs générations de compatriotes combattants et résistants. En marge de ses limites, bien sûr.)

Dans ce contexte, une révolution culturelle et politique devient plus qu’indispensable ; à partir de la base.  Cette double révolution chercherait d’abord à savoir comment sauver et protéger le capital humain en danger.  Plusieurs pays nous ont  déjà précédés sur cette voie. Prenons deux exemples. Le Cuba faisant face au pic pétrolier [4] et frappé par l’embargo étasunien a appris à faire beaucoup avec peu. Il a engagé son peuple sur le chemin de la décroissance et de la solidarité citoyenne. Les Cubains ont appris à aller au boulot à vélo, à cultiver les jardins-potagers en ville et dans les campagnes en renonçant aux   tracteurs (pour travailler avec les vaches) et  aux engrais chimiques ; ils ont, sous l’instigation de Fidel Castro, formé des médecins et encouragé le troc. (Les Cubains ont envoyé leurs médecins au Venezuela et ont reçu en échange du pétrole.)

Le deuxième exemple est celui du Venezuela où le socialisme du XXIème siècle est en train de gagner suffisamment de terrain en accordant davantage de pourvoir à la base, à la commune. Après la réélection de Chavez, « depuis plusieurs semaines en effet les dirigeants vénézuéliens ont soumis au forum, à l’agora populaire, l’examen du "Second plan socialiste de développement de la nation 2013-2019". Et ça marche. Assis en cercle dans les parcs et places, en assemblées ou ateliers dans les universités, les entreprises, les quartiers, dans des "lieux permanents" de dialogue... chacun y va de ses critiques, de ses propositions. Les échanges sont vifs... Ce débat national est considéré par les autorités comme un "processus constituant".[5] » Sur ce point, le Venezuela nous interpelle. Il ne se contente pas de théoriser sur « l’arbre à palabre », il le crée, il le plante à plusieurs endroits où s’organise sa vie politique. Il socialise politiquement sa population en la faisant travailler ensemble autour d’un plan concret. Et là, « un système sophistiqué a été mis en place pour recueillir et faire la synthèse des milliers de critiques, amendements, suggestions, avant la fin de l’année. Il reviendra ensuite aux élus, aux institutions, de les fondre dans le projet initial. L’enjeu est de taille ; la révolution bolivarienne veut opérer un saut qualitatif et accélérer le processus de transformation "socialiste" en cours. On sait que le socialisme ne se décrète pas ; Chavez en fit la malheureuse expérience lorsqu’il proposa une modification de la Constitution pour l’y inscrire, qui s’est soldée par un revers électoral. [6]»

Nous rééduquer dans l’approfondissement des causes proches et lointaines de notre assujettissement, dans la discipline collective et dans la solidarité devrait constituer pour nous une question de vie ou de mort.  Peut-être qu’il nous faudra d’abord avoir notre Fidel Castro ou notre Chavez, chercher à refermer la parenthèse de notre avilissement et de notre mort ouverte depuis les années 1990.  Mais il n’est pas exclu que ceux-ci soient, demain, les produits de cette rééducation à partir des mouvements sociaux à la base de notre société, de nos communes, de nos quartiers, de nos écoles, de nos universités, etc. Aussi n’est-il pas exclu que cette rééducation et la promotion de nos Fidel Castro et Chavez se fassent concomitamment. En marge de toutes les critiques que nous formulons à l’endroit des forces de la mort qui nous assaillent, nous devrions toujours nous poser cette double question : « Qu’est-ce qui dépend encore de nous. Que pouvons-nous encore faire ensemble ? »

Mbelu Babanya Kabudi

[1] C. FITA, RD Congo : la démocratie assassinée ? Reportages, réflexions, Info en ligne des Congolais de Belgique, Bruxelles, 2012, p. 143-144.

[2] Ibidem, p. 144.

[3] Lire C. BRAECKMAN, Les nouveaux prédateurs. Politiques des puissances en Afrique centrale, Paris, Fayard, 2003. Ce livre, malgré ses limites, contient une thèse qui n’a pas encore été démentie par les faits jusqu’à ce jour. Cette thèse peut y être lue à la page 187.

[4] Voir ce petit documentaire sur http://www.legrandsoir.info/+comment-cuba-a-survecu-au-pic-petrolier+.html

[5] J. ORITZ, Venezuela : un bouillonnement démocratique. Chronique vénézuélienne : ce qui va se passer le 16 décembre, dans http://www.legrandsoir.info/venezuela-un-bouillonnement-democratique.html

[6] Ibidem.

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